I. EGLISE INEDITE SUR LE HAUT EUPHRATE
Ma présente recherche tente d’identifier quelques noms de villes ou villages, couvents ou monastères dans la région du Haut Euphrate cités dans le grand ouvrage de Mar Michael entre le 3e et le 12e siècle.
Je participe depuis 1992 aux fouilles(l) de Tell’ Amarna situé dans cette région. Ces fouilles sont dirigées par le professeur Ônhan Tunça (Université de Liège). (2)
LE TELL: se trouve sur la rive droite de l’Euphrate (fig. 1) à 8 km de Karkemish ( Europos, Jerablus) Il est ovale, d’une vingtaine de mètres de hauteur, et est bordé par le Wadi Amarna. L ‘occupation du site ne se limite pas au tell lui- même , mais s’étend sur les terrasses qui l’ entourent.
LA REGION: ( fig. 2 ) Cette region n’avait plus été explorée par les archéologues depuis les fouilles de Karkemish dirigées par Wooley et Barnett ( 1952 ) et celles de Tell Ahmar par Thureau Dangin et Dunand ( 1936 )(3)
Ces fouilles alors n’avaient pas mis à jours des niveaux paléochretiens et ne nous concernent pas, de toute façon, sur la période qui nous intéresse ici .
LE BARRAGE TISHRIN
Après le grand barrage d’ Al-Thaoura a Tabqa, les autorités syriennes en 1989 ont lancé une nouvelle opération de sauvetage archéologique lorsque fut construit le nouveau barrage Tishrine édifié a el-Qittar, juste au-dessus de l’ extrémité nord de lac Assad à Tabqa.( fig. 3 )
Plusieurs missions ont répondu à l’ appel de fouilles de sauvetage, et ainsi sont implantées sur les deux rives de l’Euphrate. Ces missions sont entre autres nationales, européennes (française, beIge, espagnole, anglaise etc..) ou mixtes.
Une grande partie des sites explorés se trouvent dans l’ancienne Métropole d’Osrohène avec Edesse (Orhoi, Ourfa) comme siège métropolitain et Mabboug ( Hièrapolis qui est Membij ) qui fut siège métropolitain de l’Euphratésie.
LES NIVEAUX BYZANTINS: Parmi les sites où on a trouvé du matériel byzantin, on peut nommer Shioukh Faoukani sur la rive gauche de 1 ‘Euphrate, ( l’ ancienne Burmarina araméenne ) qui a livré quelques éléments d ‘ architecture, de la céramique et une inscription grecque.
Jerablus Tahtani sur la rive droite du fleuve avait un niveau byzantin très perturbé sous stratigraphie.(4)
Lors d’une prospection que nous avons effectuée avec la mission d’ Amarna en 1997 sur la rive gauche de le l’Euphrate, au nord de Tell shioukh Faoukani, nous avons trouvé une tombe recémment pillée de deux mètres de profondeur environ .Cette tombe avait été construite avec des grands blocs et possède un escalier de type romain? les tessons de céramique ramassés en surface datent du Ve au VIle siécle.
AMARNA: Dans le tell’ Amarna les niveaux les plus importants sont du deuxième et premier millénaires. En ce qui concerne le niveau chrétien, le tell a livré dans ses versants Est et Sud/Est une occupation romaine tardive chrétienne peu compréhensibles avec des pièces rectangulaires, un sol de terre battue et enfin de la céramique (5) abondante dont on m’ a confié I’ étude et la publication.
A la dernière compagne de fouilles, c’est a dire en 1998, la mission a signalé la découverte d’une église a quelques centaines de mètres au sud du tell .Elle ne fait pas partie de ce dernier mais est plutôt adossée a une des collines du site d’ Amarna superposant a I’ ouest le Wadi.
L’EGLISE ( fig. 4 )
Description:
Dimensions dégagées jusqu’ à présent:
Longueur: 17.5 m. largeur 18.5m.
Le plan de l’église consiste d’une abside a l’Est de type non saillant, de trois nefs, et entre l’abside et les nefs enfin , d’un transept continu non saillant. L ‘extrémité Est de la nef centrale constitue la place qui est réservée a l’autel ( le sanctuaire). On n’a pas retrouvé des traces de la table d’autel. Les stylobates ( en bloc de terre cuite) des chancel et des nefs ont été decouverts.
Les nefs et l’ abside sont dallées de très jolies et riches mosalques qui permettent de situer l’ édifice au Ve debut VI e siècle.
LA TOMBE: Une tombe gigantesque avait été mise au jour au Nord /ouest de l’église, construite avec de grands blocs de pierre blanche. Cette tombe monumentale est digne d’un patriarche ou d’un saint, mais on ignore à qui elle était destinée. L’ absence .d’inscription ne peut aider à donner la réponse. Par ailleurs la présence très rare de la céramique dans les deux monuments ( église et tombe ) ne nous a pas permis de confirmer ou pas la datation donnée par les mosalques. On ne peut pas pour le moment en dire plus sur l’église d’ Amama, car la fouille est inachevée. Une autre mission sera sans doute constituée prochainement pour la pouisuite des travaux.
La découverte de cette église , ainsi que le souhait si ancien que je formule de faire connaître ma region natale, m’ ont poussée a établir cette modeste tentative qui consiste dans un premier temps à dresser une carte (6) des villages actuels ( fig. 5 ), en les cherchant dans la Chronique de Mar Michael puis à voir s’il y a des témoignages archéologiques dans ces lieux de nos jours. Lorsque les témoignages archéologiques manquent la toponymie m’ à propose quelques fois une solution plus ou moins probable.
II. IDENTIFICATION DES SITES MENTIONNES DANS LA CHRONIQUE(7)
Qennesre, Qennesrin : couvent de Qennesré sur la rive gauche de l’ Euphrate qui n’ est pas Chalcis.
t. II p.428 / 29 Le Bienheureux Sur séverus un homme d’ Amid était possédé d’un démon furieux qui maltraitait la plupart de ceux qu’il rencontrait….. Alors les gens le lièrent sur un chariot et l’ emmenèrent à la porte du monastère de Qennesré .
p.429 Après la mort du vénérable séverus, succédé par Mar Daniel, évêque d’Edesse. Il arriva en ce temps que des frères du couvent de Qennesré, pour cela Mar Daniel il dit aux malheureux d’aller a Mar Jacques de Kaisoum et d’emmener le corps du vènèrable saint mais on ne voulut pas le leur donner.
p. 433 A cette époque brillaient dans les doctrines profanes et ecclésiastiques Severus Sebôkt de Qennesré et Mattai évêque d’ Alep.
p.470 Le Patriarche Athanasius disciple de Severus Sebôkt. Dans sa jeunesse, il avait etudié dans le couvent de Qennesrin et s’était familiarisé avec la langue grecque.
p.475 …l l tisrin Julianus fut ordonné Patriarche d’ Antioche .Ce Julianus comme son père faisait partie de l’ armée de David l’ arménien qui avait été détruite du temps de l’ empereur Héraclius…. Julianus de mère syrienne, son père l’ avait emmené au monastère de Qennesré, il y étudia la langue attique et l’ art d’écrire.
t.III, p.23 Dévastation du monastère de Qennesrin de cette manière: un nomme Rabia, des affidés de Nacr ( rebelle ) de Gîsra sur l’Euphrate leva le drapeau ( de la rébellion ) et des compagnons se joignirent à lui. 11 vint au monastère de Qennesrin: et comme il ne se trouva personne pour lui donner quelque chose pour sa rançon, il permit a ses compagnons de le piller et de l’incendier, avec sa magnifique église qui n’avait pas sa pareille. ILs brûlèrent aussi l’église de l’apôtre Thomas située au-dessus dans le rocher .ainsi que toute la forteresse .Ensuite les Goubbayé qui étaient dans son voisinage se rassemblèrent, enlevèrent les bois et les portes et achevèrent de détruire complètement le monastère. Ce couvent fut le premier brûlé dans l’ empire des Taiyayé.
p.41 Exposée des choses de ce synode ( de Callinice) choix d ‘un patriarche: moine du monastère de Qennesrin réfugié depuis deux ans chez nous .
p.42. ..et c’est Dionysius moine du couvent de Qennesrin …
p.49…. Or Othman , des Thomâmayé? qui avait soumis la Coelé-Syria, Emèse et la Phénicie, monte vers l’Euphrate au couvent de Qennesré et vit l’incendie du temple merveilleux qu’il admira quoi qu’il fût en ruines. Nous allâmes le saluer et nous lui demandâmes ( la permission) de le rebâtir .11 nous accueillit avec joie; il donna un diplôme pour sa reconstruction et des lettres pour les chefs….
p.116 Mort de Dionysius de Tell Mahré le 22 du mois de ab et son saint corps fut déposé dans le couvent de Qennesrin.
LISTE DES PATRIARCHES:
t.III , Appendice III p.448 Avec 1’’aide de Dieu tout Puissant, nous écrivons les noms des patriarches qui ont existé succéssivement dans notre église orthodoxe depuis le Bienheureux Séverius jusqu’à nos jours.
Julianus qui était Syncelle de Petrus , du monastère de Qennesré, dans lequel il fut ordonné. ..il exerça le patriarcat ( trois ans ).
Athanasius surnommé Gamala, de Samosate qui avait fait profession dans le couvent de Qennesré ,il fut élu ( 45 ans).
Théodosius du desert de scété .IL fut appelé du monastère de Qennesré ( 18ans )
Julianus II du couvent de Qennesré ( 20 ans ).
Claude sélis ( 8 ) dit que le couvent de Qennesré fut fondé au VI e siècle par Jean Bar Aphtonius. IL mentionne qu’il est a 35 km. de Mabboug , près de l’actuel Jerablus . A ma connaissance ce site n’ avait été identifié.
GOUBBA -BARRAYA: Couvent de Goubba-Barraya près de Qennesrin sur l’Euphrate.
t.II , p.363 Synode à Goubba -Barraya au sujet de Probus qui avait été chassé
d’ Alexandrie, fut chassé de l’église , et on le priva aussi de son office.
p.366 Extrait de la lettre du Patriarche Petrus à l’arrivée du Pape d’Alexandrie Damianus ……I1s nous demandèrent où se tiendra l’ assemblée .Nous répondîmes: ” dans la région de Goubba-Barraya où se trouvent la plupart des partisans de notre foi, et qui est proche de Mabboug, d’ Alep et de la région d’ Antioche “. Le Pape refusa.
p.368 …Extrait de la lettre du Patriarche Petrus: IL écrivit une lettre à quelques personnes originaires de Syrie qui habitaient Alexandrie dans laquelle il expose ce qui s’était passé à l’ arrivée de Damianus en Orient.
Les évêques ( qui accompagnaient l’ archmandrite qui devait se joindre à Damianus mais que ce dernier l’ avait laissé ou port de Gaza )….. Mais ils dirent que quelques-uns d’entre eux étaient sur le point d’être envoyés près de ma bassesse à Goubba-Barraya.
p.372 En l’an 9 de Mauricius le Patriarche Petms moumt le 22 nisan dans le monastère. de Goubba-Barraya.
t.III , p.10 Au mois de haziran de la même année le Synode des évêques se réunit à Badaya-Ze’ourta dans la plaine de Harran, et ils firent choix de Joseph, de Goubba-Barraya.
p.17 Révolte des Goubbaye fut celui-ci: Bacchus leur évêque qui était aussi celui des cyrhestiens se conduisait avec relâchement et faisait hypocritement acception de personnes de l’ application des lois apostoliques.
p.18 Après la mort de Bacchus Xenias son disciple, se rendit près du patriarche avec d’autres gens de Goubba-Barraya et lui demandèrent de leur ordonner Xenias pour évêque .II répondit: ” IL n’ est pas juste que ces pays soient détenus comme un héritage par ce couvent. Nous vous ordonnerons que l’un d’un autre endroit et quelqu’un de chez -vous pour un autre diocèse “
p.20/21 A propos de Siméon, du monastère de Goubba-Barraya, qui était devenu évêque des Arabes.
p.21 Bar Matar qui avait été envoyé pour dévaster les églises…. Tout le monde maudissait les Goubbayé qui furent la cause de cette ruine.
p.23 Le Patriarche Cyriacus voyant que l’évêque qu’il avait ordonné pour les Cyrhestiques n’était pas accepté réunit trente évêques et s’en alIa à Goubrin .lIs écrivirent des lettres invitant a la paix, et envoyèrent quatre évêques au village de Hallph ou les moines de Goubba-Barraya étaient assemblés. ..
p.24 Excommunication de Goubbayé. ..
p.57 Rébellion de Abîrour, victoire de Mar Dionysius …Xenias appelle Abîrour dans son couvent et lui donna le diplôme de Goubba-Barraya.
LISTE DES PATRIARCHES:
t.III , Appendice III
Petrus de Callinice. Son ordination eut lieu du temps ou Paulus vivait encore. Joseph, metropolitain d’ Amid, lui imposa les mains, il rèpara la chute de Damianus d’ Alexandrie. Quand il mourut, son corps fut enseveli dans le monastère de Goubba – Barraya.
Iohannan Jean I, qui était le Syncelle d’ Athanasius, du monastère de Goubba-Barraya …surnommé des des Sédra( 11 ans ).
Elias du monastère de Goubba -Barraya, il était évêque d’ Apamée. ( 15 ans) .il fut exposé dans son monastère.
Athanasius III du monastère de Goubba -Barraya, il était superieur de ce monastèere, il fit l’union avec les arméniens ( 15 ans ).
Joseph de Goubba- Barraya ( 2 ans )
Je propose le nom du lieu actuel de Joub -al -Faraj pour Goubba-Barraya. Le village moderne mérite d’être prospecté archéologiquement dans le proche avenir.
Gîsra, ville épiscopale sur l’ Euphrate (différente de Zeugma; peut-être Qalat en- Nedjim? )
t.111 p.23 Dévastation du monastère de Qennesré par un homme de Gîsra sur l’Euphrate.
LISTE DES EVEQUES :
t.III , Appendice III
Aharon évêque de Gîsra du couvent de Qennesré.
Cette toponymie est trés proche de noms de villages actuels: Zoghara, Shoukhra mais se trouvant sur la rive du Sadjour,
Bîzôna ; couvent de Blzona près de Callinice.
LISTE DES PATRIACHES:
Cyriacus du monastère de Bîzôna ( et v. la liste des évêques ).
Je propose de rapprocher le nom du village actuel de Deir Bazine, ou Deirbazi? avec metathèse: a = i et o = a.
Djirbas: Yakut ( Geographical Dictionary, II ,688 ) dit que Djirbas est en face de Deir Kinnisri. Aucune toponymie proche de ce site n’est mentionnée dans la Chronique de Michel le Syrien.
III. CONCLUSION
Cet exposé est un essai pour la compréhension à l’époque paléochrétienne de cette région de l’Euphrate qui sera prémordiale dans les années à venir.
Son importance est due à diverses raisons:
Un centre d’étude de doctrine monophysite, de langues, syriaque et grecque, un lieu de querelles théologiques entre évêques et moines.
Des synodes s’y déroulèrent, des moines furent excommuniés , etc. …
Par ailleurs c’était un relais essentiel sur la route des caravanes vers Antioche ou vers Edesse et au delà de ces villes.
La région se trouvant au bord du fleuve, elle a d’avantage gardé un caractère monastique qu’ agricole, car les moines pratiquaient eux même I’ agriculture et I’ élevage seulement pour leur besoin.
En revanche on sait que dans la région des « villes mortes », Cyrus , Saint Siméon, Sergilla, Dehess etc. ..il y avait des paysans et des propiètaires agraires, moyens et petits qui faisaient du commerce avec leur récolte et leurs produits.
Par ailleurs le nom de tell’ Amarna a I’ époque paléochrétienne n’ a pas été identifié. Je n’ai trouvé moi-même aucunne mention dans la Chronique. Dans l’ouvrage: La topographie historique de la Syrie antique et médièvale, René Dussaud cite Khum, lmmirina, Nampigi (Hiérapolis) en assyrien-d’après Krealing-a propos de. localisation «des bourgs de Harran ainsi que des villes qui en dépendent». Est-ce lmmirina est notre Amarna du VIe siècle ap. JC.
D’autre part on peut avancer un argument d’une nouvelle situation géographique en faveur du couvent de Qennesré .Après l’incendie de ce couvent Mar Michael érivit: « Les Goubbayé qui étaient dans son voisinage se rassemblèrent , enlvèrent les bois, les portes et achevèrent de le détruire complétement …» cela peut nous inciter à chercher Qennesré vers l’Est de l’endroit dont C.Sélis parle; Donc au Sud/ Est du tell Shioukh Faoukani et plus près de Joub-al Faraj nom moderne probable du site de Goubba-Barraya.
Nous éspèrons que ce travail est un premier pas pour identifier, sur la rive gauche ou droite de l’Euphrate, des sites mentionnés dans la Chronique .Cette région garde je pense un « air monophysite » fervent et fort, trés mouvementé et qui mérite d’ être clarifié et approfondi .Ceci reste la mission des archéologues et des historiens.
May Touma Alep nov. 1999
THE COMMEMORATION OF THE 800th ANNIVERSARY OF THE PASSING AWAY OF MAR MICHAEL THE SYRIEN 1126-1199
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